Editions Pauvert 2017
« Un ailleurs géographique »
Vous rêvez d’univers inconnu, venez découvrir la Colombie, à travers le regard naïf
mais incisif d’une petite fille qui traverse la misère et la solitude en portant un regard
cocasse sur le monde qui l’entoure.
Emma Reyes est une artiste peintre colombienne, mais aussi une conteuse .Au
départ analphabète et sans instruction, elle va parcourir l’Amérique latine après s’être
échappée, à 18 ans, de l’institution religieuse où elle est entrée toute petite. Emma Reyes
s’installe ensuite en Argentine où elle commencera à peindre. En 1947, lauréate d’une
bourse, elle part étudier les arts à Paris. Ses œuvres sont colorées et inspirées de la nature.
La plupart se trouvent au Musée d’art et d’archéologie du Périgord où elle s’installe et
construit sa vie L’auteur va délivrer, sous forme épistolaire, un récit faussement candide
des premières années de sa vie. Mais au-delà de la chronique de sa vie, elle dépeint une
Colombie des années 30, discriminatoire et raciste, une société hypocrite qui maltraite ses
enfants,( sous couvert de communautés religieuses), superstitieuse et empreinte de
préjugés.
Nées de père inconnu, abandonnées par leur mère, Emma et sa sœur Héléna vivent
dans le quartier populaire de San Cristobal à Bogota. Elles partagent avec Eduardo, un
petit garçon surnommé Le Poux, un réduit sans électricité et sans toilettes. Ils passent des
heures à jouer dans un dépotoir, au beau milieu des ordures et de la boue. Emma passe
aussi des journées solitaires avec, pour seule compagnie, un peu de lumière.
« Chaque dimanche, de midi à minuit, on me laissait seule, enfermée à clé dans
notre unique pièce. N’ayant pour toute lumière que celle qui filtrait par les rainures de la
porte et par le grand trou de la serrure, je passais des heures l’œil collé dessus pour
tromper ma peur en épiant ce qui se passait dans la rue. Régulièrement, quand la dame
aux longs cheveux rentrait en compagnie d’Héléna et du Poux, ils me trouvaient endormie
près de la porte, écroulée de fatigue à force de guetter à travers l’orifice et de rêver au
général Rebollo. »
La solitude va poursuivre cette petite fille dès l’enfance. Après le départ forcé
d’Eduardo, placé au couvent sur l’ordre de son père, Emma affrontera le monde avec un
regard marqué par la peur de l’abandon.
« Je me sentais perdue sans le Poux, je pleurais, je criais, je l’appelais ; je ne savais
pas ce que cela voulait dire, loin de Bogotà. Je pensais qu’en criant fort il m’entendrait.
Mme Maria avait l’air très triste, elle aussi ; elle est devenue plus taciturne et plus dure
que jamais. Je crois que c’est à ce moment-là qu’est né entre Héléna et moi une sorte de
pacte secret et profond ; un sentiment inconscient d’être seules au monde et de nous
appartenir que l’une à l’autre. »
Maria, la jeune femme qui les accueille, finit par les emmener jusqu’au lointain
village de Guateque où Roberto, un des hommes les plus riches de la région de Boyaca, lui
confie une chocolaterie. Elle laisse les petites filles à la garde des domestiques. Quelques
temps plus tard, elle donne naissance à un bébé qu’elle abandonne aux soins des deux
petites filles.
« Ma vie avait changé : finis le cochon, les poules et leurs œufs, les arbres et leurs
fruits, l’unique chose qui m’intéressait, désormais, c’était d’être près de lui. S’il était
réveillé, je m’asseyais à ses côtés pour lui parler et l’amuser ; s’il dormait, je restais à sa
porte en attendant qu’il se réveille ; s’il pleurait, je courais chercher Betzabé pour qu’elle
lui apporte le biberon. Mlle Maria nous avait formellement interdit de le sortir de la
chambre, elle ne voulait pas que les voisins le voient ou l’entendent pleurer. Comme il ne
prenait ni l’air ni le soleil, il était de plus en plus pâle, voire translucide, mais il grandissait
et prenait du poids. »
Maria se met ensuite à imposer aux enfants des violences incessantes qui les
poussent à trouver refuge dans un four désaffecté. Les petites filles de cinq ans et six ans
et demi travaillent d’arrache-pied dans une nouvelle chocolaterie. Lasse de ce fardeau,
Maria finit par abandonner le bébé d’abord puis les deux fillettes sur un quai de gare.
« Les indiens ont demandé au chef de gare et à d’autres personnes s’ils n’avaient
pas vu une jeune femme en robe et chapeau gris accompagnée d’un dandy de Bogota : ils
les avaient tous vus prendre le train. Un attroupement a commencé à se former autour de
nous. Héléna et moi, on s’est regardées et on a eu la même pensée en même temps. On a
fondu en larmes à l’unisson, une seule phrase nous est sortie en chœur des lèvres : « elle
nous a abandonnées, elle nous a abandonnées. »
Elles sont recueillies par des religieuses, dans un couvent et vont avoir beaucoup de
mal à s’adapter à cet univers étrange, régi par un règlement strict totalement
incompréhensible pour deux petites filles. D’innombrables corvées vont ponctuer leurs
journées corvées destinées à leur permettre de gagner leur pain quotidien.
« Nos vies étaient orientées à deux fins uniques et indissociables : travailler au
maximum de nos possibilités pour gagner notre pain quotidien et, d’après les nonnes,
sauver nos âmes en nous préservant des péchés du monde ; mais le prix à payer pour notre
salut se monnayait en dix heures de travail par jour. Quels que soient notre âge ou nos
capacités, on travaillait sans discontinuer. »
Les petites filles vont découvrir les stupéfiantes superstitions d’un catholicisme mal
compris, fait d’intolérance et de brimades allant jusqu’à des raclées mémorables
Le récit enchante le lecteur par sa vivacité, la fraicheur du regard d’Emma. Le
principe littéraire est attractif: une voix adulte recrée la vision qu’une toute petite fille
porte sur le monde qui l’entoure et les personnes étranges qui gravitent autour d’elle. A
travers 23 lettres adressées à son ami Germàn, d’avril 1969 à Août 1993, émerge le récit
émouvant d’une enfance d’un autre temps, celle d’une petite analphabète née de père
inconnu et qui décidera de s’échapper de l’institution religieuse où elle sera enfermée
Jusqu’à ses 18 ans.
Cet ailleurs violent adouci par un regard naïf d’enfant entraine le lecteur dans un
autre temps émouvant. La forme épistolaire confère une légèreté à ce récit d’enfance et
l’humour omni présent donne tout son charme à cette enfance rocambolesque.
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Compléments de réflexion
Commentaire de DG